mardi 16 septembre 2014

Sarkozy, le mariage gay et... la polarisation politique

Nicolas Sarkozy aurait déclaré pendant l'été à un visiteur dans son lieu de villégiature qu'il ne reviendrait pas sur la loi sur le mariage pour tous. Après l'intensité et la violence de la bataille législative et médiatique autour de la Loi Taubira, cela équivaut sans doute à un revirement un peu surprenant. Certes, Sarkozy n'a jamais été en première ligne sur ce dossier, mais il avait bien déclaré son opposition à cette loi et il avait reçu et félicité Frigide Barjot, égérie de la "Manif pour tous", du succès de la manifestation du 13 janvier 2013. On ne l'avait plus trop entendu sur cet enjeu, cependant, à la suite des manifestations plus violentes qui avaient suivi au mois d'avril et il aurait même ouvertement pris ses distances avec le mouvement. Nonobstant, comment expliquer un ton aussi conciliant sur l'enjeu qui semble avoir cristallisé – plus que tout autre – l'opposition gauche-droite au cours de l'année 2013? 

Pour faire vite, on pourrait dire que gouvernement et opposition, ce n'est pas pareil : c'est tellement évident que cela semble banal de s'y attarder. En France, on sait qu'un parti d'opposition trouvera toute proposition du gouvernement faible, contestable, dommageable pour la France etc., même si cette proposition recoupe en grande partie des positions du parti d'opposition en question. Cela fait partie, sans doute, du jeu politique, exacerbé en France par des institutions particulièrement clivantes (voir aussi ce billet).  

Et pourtant, les électeurs de droite et de gauche ont de plus en plus l'impression que les principaux choix politiques, notamment en matière de politique économique se ressemblent. Et ils n'y se trompent pas! Les gouvernements qui se sont succédé depuis Mai 2012 n'ont pas fondamentalement remis en cause la ligne politique mise en place par leurs prédécesseurs en matière de politique économique. La politique pour sortir de la crise consiste à réduire les dépenses pour ramener le budget à l'équilibre dans un horizon plus ou moins proche. Les différences sont de degré - à quelle vitesse y arriver, quelles dépenses sacrifier - plutôt que de nature. Nombre de ces choix politiques sont d’ailleurs déterminés au niveau européen, à travers le Pacte de stabilité et de croissance ou l’indépendance de la Banque centrale européenne. Rappelons que cette « européanisation » des politiques économiques françaises a été voulue et approuvée par tous les gouvernements français de droite et de gauche depuis trente ans…

Paradoxalement, alors que les choix en matière de politique économique se sont indéniablement rapprochés, on a l'impression que gauche et droite sont plus irréconciliables que jamais. D'où vient cette impression d'opposition radicale qu'on a notamment pu ressentir au moment des mobilisations autour du mariage pour tous? La principale explication doit sans doute être cherchée dans les considérations politiques de court terme. Et s'il est évident que les hommes et femmes politiques sont contraints par les élections à parfois perdre de vue le bien commun, les coûts à moyen terme de ce court-termisme pourraient s'avérer colossaux. 

A défaut de choix de politique économique vraiment différents, la compétition politique se déplace vers d'autres enjeux. Les "sujets de société" ou les questions "éthiques" sont devenus des sujets de choix. Les débats sur la régulation de l'avortement ont été au centre des débats politiques en Espagne tout au long de l'année en cours ; les débats sur le clonage, les OGM, la GPA et autres ont régulièrement surgi dans d'autres pays voisins au cours des dernières années. La France n'est donc ni seule ni différente.

Et ce déplacement des enjeux se fait avec d'autant plus de verve et d'entrain que les positions politiques entre les principaux opposants se sont rapprochés par ailleurs. En effet, comme il faut toujours gagner des élections, il faut faire oublier la convergence des positions sur certains points cruciaux en exagérant les différences sur d'autres points. C'est sans doute un des paradoxes de notre temps: alors que beaucoup de décisions sont prises en dehors du cadre national, nous n'élisons que nos gouvernements nationaux. Pas d'élection pour l'OMC, le FMI ou tant d'autres fora où des décisions qui nous affectent sont prises, sans même parler des décisions de grandes entreprises multinationales ou de puissances étrangères. La classe politique en est consciente mais emploie tous les moyens à sa disposition pour convaincre les électeurs qu'elle compte toujours. Le détournement systématique des élections européennes en élections nationales bis illustre bien ce paradoxe.

Le problème est que certaines exagérations ont des coûts au-delà de l'horizon de court terme qui les a inspirés. Les mobilisations contre le mariage gay ont fait surgir au milieu de l'arène politique une ribambelle de personnages et d'organisations jusque-là confinés aux marges de cette arène. Et même si Monsieur Sarkozy peut déclarer désormais "le mariage gay, je m'en fous", ces personnages n'ont nullement l'intention d'abandonner ces places chèrement acquises et de retourner dans la marginalité politique. En effet, plusieurs mobilisations depuis comme la "journée de retrait de l'école", le "jour de colère" ou encore la mobilisation contre "l'abécédaire de l'égalité" et autres campagnes contre la nouvelle ministre de l’éducation montrent que ces organisations ont trouvé leur public et qu'elles entendent peser sur les débats publics. L'effet clivant de la mobilisation contre le mariage gay semble ainsi perdurer bien au-delà de la Loi Taubira. 

L'objectif de court terme, qui était de diviser autant que possible, de polariser pour affaiblir le gouvernement en place, pourrait se retourner contre la droite "institutionnelle", désormais talonnée par le FN, bien plus proche des organisations autour de la Manif pour tous et de leurs discours.
L'esprit de rassemblement qui caractérise celui qui entend reconquérir une majorité électorale au niveau national est très différent de l'opposant qui veut faire échouer le pouvoir en place. Mais plus on exagère le rôle d'opposant, plus il deviendra difficile de jouer ensuite les rassembleurs.
L'avenir montrera si les effets de moyen terme sont aussi importants que nous disons. Mais il risque d'y avoir d'autres enjeux et exagérations similaires – à gauche ou à droite. La structure de la compétition politique en France ne permet pas d'espérer autre chose et la montée en puissance de partis aux positions de plus en plus radicales semble inéluctable.
Seule une réorganisation de la structure de la compétition politique pourrait y remédier. Mais toute initiative en la matière devrait être précédée d'une prise de conscience de la part des principaux concernés et d'une sincère volonté de changement. Ensuite seulement, on pourra réfléchir à la manière d'éviter ou, au moins, de limiter des dérives aussi clivantes et polarisantes dans le débat politique.

Emiliano Grossman


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