lundi 2 juin 2014

Quand l’extrême droite gagne, qui perd ?





Depuis 1979, huit élections européennes se sont succédées. Au départ, l’extrême droite avait récolté bien peu. Le « Parti des forces nouvelles », tombé depuis dans l’oubli, prenait alors 1,35% des voix. Aujourd’hui, le Front national avoisine les 25%. Au détriment de qui s’est faite cette percée ?

Quand on observe les choses de près, électeur par électeur, il apparaît qu’en 2012, le second parti préféré des sympathisants UMP était le FN, et le second parti préféré des frontistes, était l’UMP. Dans les enquêtes il n’y a donc pas de doute : la compétition se joue principalement au sein de la droite*.

Seulement, lorsqu’on prend de la distance, les choses ne semblent pas tout à fait être aussi claires. Prenons trois grands blocs : les partis de gauche, ceux de la droite modérée et ceux d’extrême droite. La figure ici-bas compare l’évolution des pourcentages des votes de la droite modérée et de l’extrême droite aux élections européennes. Il y a bien une sorte de concurrence : dans six cas sur huit, l’augmentation de l’un correspond à la baisse de l’autre. Néanmoins, l’ampleur des gains de l’un reste assez différente de l’ampleur des pertes de l’autre. 

 

Comparons maintenant le chemin parcouru par l’extrême droite avec celui de la gauche.  Ici également, dans six élections sur huit, quand l’un perd, l’autre gagne. Mais de plus, on peut observer que les gains (en termes de pourcentage) de l’un ressemblent beaucoup aux pertes de l’autre. En fait, en regardant les résultats sur le long terme, l’extrême droite semble être plus en compétition avec la gauche qu’avec la droite. 
 


Un outil moins intuitif et plus mathématique permet de s’en convaincre. L’écart-type de l’évolution de la somme des scores des deux blocs permet de mesurer la compétition entre ces blocs. Si l’écart-type est de 0, alors les voix qu’un bloc gagne, sont perdues par l’autre. Cela signifie que la compétition entre ces deux blocs est parfaite. En revanche, plus l’écart-type est grand, moins l’on peut dire que les voix perdues de l’un iront à l’autre. Donc, de grands écart-types indiquent une concurrence faible.
Or, l’écart type obtenu par la somme des voix de la gauche et de la droite modérée est de 7,1. Celui obtenu par la somme de la droite modérée et l’extrême droite est de 4,8. Et finalement, l’écart-type obtenu après avoir additionné les scores de la gauche et de l’extrême droite est de 2,4, soit deux fois plus faible que le précédent. Autrement dit, en termes de concurrence électorale, ce sont la gauche et l’extrême droite qui se partagent un pourcentage de voix relativement stable.

Quelle est la raison ? L’hypothèse la plus intuitive est que ce sont les mêmes électeurs qui hésitent entre la gauche et l’extrême droite. Bien sûr, des électeurs de ce type existent. Mais, comme je l’ai dit plus haut, aucune enquête sérieuse ne confirme une hésitation massive entre ces deux blocs. Une deuxième possibilité est que lorsque les électeurs de gauche décident de s’abstenir, les frontistes votent, et vice-versa.  Il est vrai que l’abstention étant forte aux élections européennes, un phénomène de ce genre n’est pas impossible. Enfin, il est possible qu’il y ait des périodes de droitisation, où tous les électeurs tendent à voter un peu plus à droite que d’habitude. Les électeurs de gauche, votent au centre, et ceux de droite à l’extrême droite. La thèse de la droitisation est tentante. Mais elle est la moins convaincante. Voici pourquoi.

Premièrement, tout porte à croire que les succès de l’extrême droite arrivent dans les périodes où les citoyens veulent des politiques « de gauche ». En effet, les élections où les partis de gauche ont eu le pourcentage le plus élevé sont celles juste avant une grande défaite, 1979 et 2009. Pendant ces mêmes périodes, la gauche gagne les élections présidentielles et législatives, respectivement en 1981 et 2012. Les succès de l’extrême droite suivent donc des grands succès de la gauche.

Par ailleurs, ce qui caractérise ces deux gouvernements de gauche – celui du début des années ’80 et celui actuel - est d’avoir pratiqué une redistribution bien inférieure à celle annoncée à cause des équilibres économiques internationaux, notamment le système monétaire européen. Ces gouvernements se sont trouvés face au dilemme caractéristique de la gauche européenne : la difficile conciliation entre l’internationalisation et la redistribution. Faute d’avoir réussi à concilier ces deux impératifs « socialistes », les électeurs en demande de redistribution – qu’ils soient de gauche ou de droite – se tournent vers les partis qui rejettent l’internationalisation (ou vers l'abstention).

Cette dynamique n’est pas nouvelle. Le plus grand succès électoral de la gauche (sociaux-démocrates et communistes) pendant l’Allemagne de Weimar fût enregistré en 1928. Juste avant la montée du national-socialisme. Et tant que la gauche ne trouve pas comment concilier internationalisation et redistribution, il y a des chances de continuer à observer des phénomènes semblables.


                                                                       Raul Magni Berton
 




* Voir par exemple J. Gerstlé et R.Magni-Berton (2014) 2012: La campagne présidentielle. Observer les médias, les électeurs, les candidats. Paris. Ed. Pepper-L’harmattan.


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2 commentaires:

  1. Xavier Bertrand et Nora Berra ont tenu en 2013 et en 2014 des propos qui vont dans le sens de votre analyse. Seulement, celle-ci omet des résultats électoraux qui vont dans le sens contraire : je vous invite à consulter cet article des Décodeurs du Monde.

    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/09/22/le-fn-fait-il-de-meilleurs-scores-quand-la-gauche-est-au-pouvoir_4492211_4355770.html

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    1. Bonjour Kevin, j'ai répondu eux textes des Décodeurs dans un nouveau billet du 2 octobre

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